Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Jonas Roisin - 26 avril 2024

FRAGMENTS #1 – Harraga et sa maman

La scène se déroule à l’IAC, dans le cabinet où sont accueillis ensemble des travailleurs sociaux et des familles en exil qu’ils et elles accompagnent en France.

Il a 16 ans. Il vivait en Algérie et depuis un an en France. Sa mère est partie en France enceinte de sa petite sœur lorsqu’il avait 10 ans. Elle est pleine de tristesse à l’égard des violences qu’il a subi loin d’elle : « ce sont des hommes se disant musulmans qui t’ont maltraité »
Le fils : « ça n’a rien à voir avec la religion maman »
Elle est pleine de haine et de chagrin à l’égard de ce que son fils a vécu loin d’elle et de sa protection.
Il a fait harraga avec des plus âgés du quartier qui pourtant avaient refusé sa présence sur le bateau mais il les a menacés de mettre le feu au bateau si ils ne le prennent pas avec eux. Il est monté, c’est sa mère qui raconte ce fils si courageux mais dans le même temps s’étonne de cette folie.
Sur le bateau, il a été malade, très malade, il a été protégé et soutenu par ces hommes. Il dit « personne ne peut connaître ce que j’ai vécu dans ce moment ». Personne, sauf ceux qui ont connu ce voyage en conditions clandestines extrêmes lors duquel mourir est une probabilité sérieuse.
Mais rejoindre sa mère et sa sœur en France est un objectif qui donne un courage inimaginable.
Les paroles morbides de son père concernant sa mère étaient insupportables.
Alors il a fui.
Il prend plusieurs fois la main de sa mère et l’embrasse durant la séance alors qu’elle pleure en parlant.
L’assistante sociale est nommée « Khasha » c’est-à-dire un objet permettant de flotter dans l’eau. Nous le découvrons grâce à Madame l’interprète. Sa fonction est célébrée. Elle assume d’être tant regardée par la mère. Nous partagerons plusieurs moments d’émotions intenses.

Je m’attelle à plusieurs reprises à questionner leurs ressemblances de caractère. Rebelles et courageux, prêt à sauver leur dignité au péril de leurs vies à quelques années d’intervalle.

Il répond qu’il partage 30 pour cent de ressemblance/transmission venant de sa mère. A la fin de l’entretien il évoquera qu’il est aussi le fils d’un père. Nous blaguons sur les 70 pour cent qu’il n’a pas évoqué en début d’entretien.

Elle lui interdit toute loyauté à cette branche paternelle, algérienne, musulmane. Celle là même qui, selon elle, l’a mariée de force si jeune sans son accord. Ses parents à elle dont elle ne veut pas parler alors que son fils à ce moment la regarde intensément lorsque j’interroge les transmissions qui relient ces grands parents à leur fille.

Depuis son arrivée en France, les retrouvailles sont gravement endolories par le besoin du fils d’interagir avec les garçons de la rue, clandestins d’Algérie comme lui. « Eux savent ce qu’on a vécu dans le voyage » dit-il. Alors sa mère va au contact de son fils dans la rue. Elle se le dispute avec la bande. Il est tiraillé entre ces loyautés qui se confrontent.

Et pourtant, tous semblent avoir quitté des situations d’humiliation. Pour des raisons différentes. En France, ils semblent s’éloigner. Elle d’un côté. Eux de l’autre. Elle rejette tout du patriarcat d’Algérie. Son fils semble s’en ré inspiré, loin de son père et proches des désaffiliés comme lui, harragas donc numineux ?